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Hidden, la chanteuse cachée
Un nouveau Jafar Panahi à regarder gratuitement, ça ne se refuse pas. Le court métrage Hidden (« Cachée »), réalisé en 2020, fait partie de la collection « 3e Scène » de l’Opéra de Paris qui invite des artistes à créer des œuvres en rapport avec la musique et la danse. Le film est une sorte de suite de Trois Visages dont il reprend le point de départ : une femme (ici la productrice de théâtre Shabnam Yousefi) demande à Jafar Panahi de l’accompagner pour retrouver, dans un village reculé, une jeune femme à qui sa famille interdit une pratique artistique (ici le chant). Le voyage permet de mettre en lumière, comme dans Hors jeu et Trois Visages, les contraintes absurdes qui pèsent sur la vie des femmes en Iran. Dans la voiture de Jafar Panahi est aussi présente sa fille Solmaz, dont la passion pour le football a inspiré le scénario de Hors jeu.
La révolution iranienne
La belle affiche de Hors jeu a été dessinée par Marjane Satrapi. Le rapprochement entre cette artiste née en Iran et Jafar Panahi est une évidence. Dans Persepolis, la bande dessinée qui l’a fait connaître, Marjane Satrapi raconte quatorze années de son existence, de 1979, date de la révolution iranienne, à 1993, quand elle quitte ses parents pour aller étudier en France. Comme Jafar Panahi dans Hors jeu, elle y dénonce les règles absurdes imposées aux femmes au sein de la République islamique. Quand Marjane Satrapi a créé l’affiche de Hors jeu, elle travaillait sur l’adaptation cinéma très réussie de son autobiographie.
Pour découvrir un autre point de vue sur la révolution iranienne, Pixivore te recommande un jeu vidéo passionnant : 1979 Revolution : Black Friday (2006). Dans cette aventure rappelant les jeux de Telltale comme The Walking Dead, le personnage principal est un photographe participant à la chute du Shah avant d’être emprisonné par le pouvoir islamique – comme l’oncle Anouche de Marjane Satrapi.
L'Iran interdit
Comment faire pour filmer ce que les autorités iraniennes interdisent de montrer ?
Pour réaliser Hors jeu, Jafar Panahi a présenté à la commission qui autorise les tournages un scénario qui parlait de football… mais pas de supportrices ! Depuis son arrestation en 2010, il doit carrément tourner ses films clandestinement et n’a pas le droit de quitter le pays…
Si tu veux en savoir un peu plus, voici un petit reportage de TV5 Monde réalisé en 2016.
C’est aussi en secret que Bahman Ghobadi a tourné Les Chats persans (2016), qui suit deux musiciens de rock (musique aussi mal vue par le gouvernement que le rap) voulant quitter leur pays.
Pour ne pas risquer d’être arrêté.e.s par la police, des cinéastes ont trouvé une autre solution : faire un film qui se passe en Iran, avec des acteurs iraniens… mais en le tournant dans un autre pays. C’est le cas du premier long métrage d’Ana Lily Armipour : A Girl Walks Alone at Night (2014), vendu comme « le premier western vampirique iranien ». Si l’histoire se déroule dans une ville-fantôme iranienne (Bad City), le film a été entièrement filmé en Californie.
Under the Shadow (2016), tourné en Jordanie, est un autre film de genre qui n’aurait jamais pu se faire en Iran. On y suit, à l’époque de la guerre Iran-Irak, une femme et sa petite fille assaillies par un esprit malfaisant dans leur appartement de Téhéran. Un des films d’épouvante les plus flippants de ces dernières années, à voir sur Netflix.
Ce qu’on ne peut pas montrer dans les films iraniens
Propos du réalisateur Adbolrez Kahani tirés de son entretien publié sur France 24
La représentation des femmes. Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas montrer dans les films en Iran. Chaque femme doit être couverte de manière islamique tout le temps et cela donne lieu à des situations ridicules. Dans les films iraniens, les femmes portent constamment le hijab, même quand elles sont seules ou en famille, alors que la charia et la loi iranienne prévoient qu’elles ne doivent le porter que devant des étrangers.
Le contact physique. Nous ne pouvons pas montrer un homme et une femme dans le même lit, même complètement couverts et à un mètre de distance. Dans n’importe quelle situation, une actrice et un acteur ne peuvent pas se toucher. Imaginez que l’un d’entre eux est malade. Nous ne pouvons pas montrer qu’ils vont se toucher, un geste tellement simple et naturel. Dans les films iraniens, quand un personnage est malade ou blessé, l’autre peut seulement crier ou pleurer. Nous ne pouvons pas montrer de boisson alcoolisée ou de drogue dans les films. J’ai tourné un film en France, On a le temps, dans lequel certaines scènes montrent des personnes qui ne sont pas iraniennes en train de boire, de danser, et donc de se toucher. On m’a demandé de toutes les couper. Si je le faisais, je perdais vingt minutes du film, qui devenait alors un court-métrage. Je ne l’ai pas fait, et je n’ai donc pas eu l’autorisation de le diffuser.
Supportrices de foot en Iran
Dans un reportage photo de Forough Alaei publié dans le quotidien anglais The Guardian, on rencontre Zeinab, une jeune Iranienne qui aurait pu apparaître dans Hors jeu. Si tu ne lis pas l’anglais, ce n’est pas grave : les images parlent d’elles-mêmes, surtout celles de l’incroyable transformation de Zeinab en garçon. Tu pourras aussi y voir des photographies des supportrices autorisées en 2018 à regarder un match. Les femmes en noir au premier plan sur l’une des photos sont des gardiennes chargées de surveiller les supportrices.
On retrouve Zeinab dans ce petit film de Brut, dans lequel elle raconte notamment la tragique histoire de Sahar Khodayari, qui s’est immolée après s’être fait arrêtée parce qu’elle avait assisté à un match de foot…
Ame et Yuki version manga
La plupart des films de Mamoru Hosoda ont été déclinés en bande dessinée : c’est le cas des Enfants loups (en 3 tomes de la mangaka Yû), mais aussi de La Traversée du temps, de Summer Wars et du Garçon et la Bête. Ce dernier film a aussi connu une novélisation (adaptation sous forme de roman), qui est écrite par Mamoru Hosoda lui-même. Un dernier conseil lecture : La Traversée du temps de Yasutaka Tsuitsui, la nouvelle de science-fiction très connue au Japon qu’Hosoda a adapté dans son long métrage de 2006.
Le cinéma de Mamoru Hosoda
Comme beaucoup, Pixivore adore les films de Mamoru Hosoda. Considéré comme le nouveau grand maître de l’anime et ses cinq derniers films ont reçu au Japon le prix du meilleur film d’animation de l’année. Dans l’ordre : La Traversée du temps (2006), Summer Wars (2009), Les Enfants loups, Ame & Yuki (2012), Le Garçon et la Bête (2015) et Miraï, ma petite sœur (2018). Nous t’invitons à une petite exploration de ses thèmes favoris.
La famille
Comment intégrer une belle-famille nombreuse ? Comment bien éduquer ses enfants ? Comment s’entendre avec sa sœur ou son frère ? La famille est le thème principal du cinéma de Mamoru Hosoda. Ses scénarios ont de nombreux rapports avec sa vie personnelle. Summer Wars correspond à la rencontre avec sa femme et une nouvelle famille. Les Enfants loups a été conçu alors que sa femme et lui essayaient d’être parents sans y parvenir, contrairement à leurs amis. Par la suite, la naissance de son premier enfant lui a donné l’idée d’un film centré sur la paternité : Le Garçon et la Bête. Et pour créer Kun, le petit héros de Miraï, ma petite sœur, il s’est beaucoup inspiré de son fils quand il avait 4 ans.
La vie quotidienne
Comme c’est souvent le cas dans l’animation nippone, les films de Mamoru Hosoda permettent aux spectateurs.trices de s’immerger dans la vie quotidienne des Japonais. Les décors (rues, bâtiments, intérieurs) sont représentés de façon très réaliste : dans Les Enfants loups, l’université où étudie Hana est inspirée de celle de Hitotsubashi et le café Hakujûji où elle retrouve son amoureux existe vraiment. Certains détails sont tirés de la vie du réalisateur, comme les brochettes trempées dans la sauce, qui est une recette de la région natale de sa femme. Comme Hosoda aime bien montrer la préparation des repas, ses films nous donnent souvent faim ! Ils nous apprennent aussi un tas de choses sur de nombreux aspects du quotidien des Japonais : leur amour du baseball, la signalisation d’un passage à niveau (La Traversée du temps), leurs traditions comme la fête d’Hina Matsuri (Miraï, ma petite sœur) …
Les univers parallèles et virtuels
Mamoru Hosoda connaît bien les univers imaginaires : au sein de Toei Animation, il a été animateur sur les séries Dragon Ball Z et Sailor Moon et a réalisé le sixième film cinéma de One Piece, Le Baron Omatsuri et l’île aux secrets (2005). Dans les films qu’il a écrits, les personnages sont souvent partagés entre le monde réel et un monde parallèle ou virtuel qui ne s’oppose pas à la réalité mais permet de mieux la comprendre. Regarde bien la façon dont est mise en scène la découverte de ces autres mondes, ce sont toujours de beaux moments. Belle, son nouveau film prévu en 2021, se déroulera en partie, comme Summer Wars, dans un univers virtuel.
La relation maître-disciple
Les cinq derniers films d’Hosoda sont des récits d’apprentissage et de transmission. Ses jeunes personnages doivent parfois trouver un maître pour apprendre à se battre (Summer Wars, Le Garçon et la Bête) ou vivre dans la forêt (Les Enfants loups).
L’hybridation entre l’humain et l’animal
Comme le montre Les Enfants loups, Mamoru Hosoda aime les personnages mi-humains, mi-animaux. Il y en aussi dans Summer Wars (les avatars) et, surtout, Le Garçon et la Bête. Dans Miraï, ma petite sœur, le chien de la famille prend une forme humaine alors qu’à l’inverse, Kun se transforme en chiot. Et, dans son prochain film, il semble, en regardant l’affiche, que la Belle du titre va trouver sur son chemin… une Bête.
Mamoru Hosoda répond à vos questions
Et pour terminer, Pixivore te partage cet entretien avec Mamoru Hosoda glané sur les internets (et réalisé par Sens Critique) !
Louves et loups au Japon
Comme le dit Yuki en voix-off, les loups ont disparu au Japon il y a une centaine d’années – en 1905 exactement. L’animal reste heureusement vivant dans la culture populaire du pays, comme le montrent le film de Mamoru Hosoda et les quatre œuvres animées que nous te conseillons.
Avant Ame et Yuki, l’enfant loup le plus célèbre de l’anime est sans doute San, l’héroïne de Princesse Mononoké (1997) d’Hayao Miyazaki. Elle n’a pas une nature hybride comme les enfants d’Hana mais a été élevée par des loups géants qu’elle défend contre les humains.
Okami (version originale en 2006, version HD en 2012) est un jeu vidéo à l’esthétique très originale qui se déroule également à l’époque féodale. La louve que contrôle le joueur est ici d’essence divine puisqu’elle est la réincarnation d’Amaterasu, la déesse du Soleil et de la Lumière. Le mot okami signifie « loup » en français. Les concepteurs du jeu l’ont écrit O kami, ce qui veut dire : « Grande Déesse ».
Dans le sombre Jin Roh – la brigade des loups (1999), les vrais loups sont empaillés dans un musée d’histoire naturelle. Fuse, le héros, est membre de la brigade du titre, un groupe de soldats surarmés chargés d’anéantir les opposants au régime fasciste en place au Japon. Quand il tombe amoureux d’une jeune femme liée aux opposants, leur relation est comparée à celle du Loup et du Petit Chaperon rouge. Le film a connu en 2017 une adaptation sud-coréenne live (avec des acteurs) sous le titre Illang, la brigade des loups.
Si, dans Jin Roh, l’homme est un loup pour l’homme, la série BNA : Brand New Animal (2020) se demande si le loup peut, en compagnie d’autres animaux, vivre en société comme un homme. Les personnages principaux de cette production Trigger, à qui l’on doit le délirant long métrage Promare, sont deux « Ani-hommes » pouvant se transformer comme Ame et Yuki : la femme-tanuki Michiru et l’homme-loup Shiro Ogami.
Jeux dystopiques
Dystopie et jeu vidéo, c’est souvent un duo gagnant. Alors que tu es peut-être en train de jouer à Cyberpunk 2077 (inspiré notamment par Blade Runner et Ghost in the Shell), Pixivore te conseille 5 autres jeux dystopiques.
BioShock (2007, remasterisé en 2016)
Un jeu de tir à la première personne dont le point fort est l’exploration de la cité sous-marine de Rapture. Créée comme un refuge pour ultra-riches par un milliardaire mégalomane, Rapture est l’un des lieux les plus mémorables de la dystopie. L’univers foisonnant de Bioshock se prêterait bien à une adaptation. En attendant le film ou la série Bioshock, on pourra regarder Snowpiercer – Le Transperceneige, où l’on retrouve dans certaines séquences l’ambiance rétro-futuriste et l’humour satirique du jeu.
Mirror’s Edge (2008)
Un autre jeu à la première personne où l’utopie (une ville apparemment apaisée aux couleurs lumineuses) a basculé dans la dystopie (la lutte contre la criminalité a réduit la liberté des habitants qui sont surveillés en permanence).
Watch Dogs : Legion (2020)
La surveillance informatique généralisée est aussi au cœur de la série Watch Dogs, commencée en 2014, où l’on incarne un hacker. Alors que les deux premiers jeux étaient situés au présent, le dernier né de la franchise verse carrément dans la dystopie en se situant dans un Londres futuriste ravagé par une crise économique.
Papers Please (2014).
Les dystopies sont généralement racontées du point de vue de ceux qui résistent aux régimes totalitaires. Papers Please (« Vos papiers, s’il vous plaît. ») nous permet de passer du côté des oppresseurs en incarnant un douanier posté à la frontière d’une dictature imaginaire fortement inspirée par l’Union Soviétique.
A voir : la sympathique adaptation russe en prises de vues réelles.
Inside (2016).
Les univers dystopiques des jeux vidéo, comme ceux de BioShock ou Watch Dogs, sont souvent très détaillés. Dans Inside, le deuxième jeu du studio danois Playdead après Limbo, pas de textes et pas de dialogues pour établir le contexte. Juste un jeune garçon pourchassé par des miliciens et leurs chiens dans un monde effrayant, où les rares humains croisés sont réduits à l’état de zombies. Un jeu qui te filera le cafard mais que tu n’oublieras pas !